Un Traité Contraignant de l’ONU sur les Entreprises Transnationales et les Droits humains pour écarter les fausses solutions d’« extractivisme vert » : Construire un véritable outil dans la lutte pour la justice climatique et sociale
Par Erika Mendes (Justiça Ambiental JA!- Les Amis de la Terre Mozambique) et Raffaele Morgantini (CETIM), membres de la Campagne Mondiale pour Revendiquer la Souveraineté des Peuples, Démanteler le Pouvoir des Transnationales et Mettre fin à l’Impunité.
Dans l’économie mondialisée néolibérale d’aujourd’hui, les entreprises transnationales – érigées en principaux agents des politiques de développement – exercent un pouvoir monopolistique sur les chaînes de valeur et de production. En fait, le modèle capitaliste dominant est alimenté par l’accumulation continue de capital à travers les activités de ces entités, qui contribuent à l’exploitation non seulement des forces de travail, mais aussi des femmes et de la nature. Dans ce contexte, il est impossible de dissocier la lutte pour la justice climatique de la lutte pour la défense des terres, des territoires et des droits humains. Les droits environnementaux et les droits humains sont inséparables, inextricablement liés, surtout dans le cadre de la crise systémique multidimensionnelle actuelle, qui est avant tout une crise climatique et sociale.
Que signifient les droits environnementaux pour les mouvements sociaux, les communautés affectées et les détenteurs de droits ?
Commençons par dire que les droits environnementaux incluent nécessairement l’accès aux ressources naturelles non polluées qui permettent la survie, y compris la terre, l’abri, la nourriture, l’eau et l’air. Ils consacrent également des droits plus écologiques, y compris le droit de survie de certaines espèces et le droit des écosystèmes à prospérer. Un point très important : notre vision des droits environnementaux inclut également des droits politiques, tels que les droits des peuples autochtones et d’autres collectivités, le droit à l’information et à la participation aux processus décisionnels pouvant affecter leur environnement ; mais il s’agit aussi de la liberté d’opinion et d’expression, de l’autodétermination, et du droit de résister ou de dire non à des développements ou projets nuisibles sur leurs territoires.
Beaucoup de ces droits, en particulier les droits politiques, sont bien établis et consacrés dans divers instruments juridiques internationaux et accords. Nous pouvons créditer l’établissement de certains de ces droits, ainsi que l’acceptation d’autres qui ne sont pas encore reconnus légalement, aux luttes passées et actuelles des communautés et des peuples autochtones du monde entier.
Les communautés rurales locales et traditionnelles, majoritaires dans le Sud global, sont mutuellement dépendantes et protectrices de l’environnement. Plusieurs études montrent que les pratiques et connaissances traditionnelles sont les plus efficaces pour protéger et restaurer l’environnement, tandis que le secteur de l’agrobusiness transnational et les entreprises extractivistes transnationales dévastent les sols, rivières, forêts et écosystèmes.
Certains des débats autour des droits environnementaux ont commencé avec la reconnaissance des énormes impacts et de la pollution causés par de puissantes entreprises transnationales. Par conséquent, parler de droits environnementaux est aussi une quête pour mettre fin à l’impunité des entreprises et à la destruction de notre planète dans la poursuite du profit.
De la crise climatique à l’« extractivisme vert »
La crise climatique nous montre qu’il y a un dysfonctionnement dans le système, qui ne se limite pas au dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Des millions de vies sont en jeu, et ce ne sont pas les personnes qui ont créé le problème. Il y a une injustice inhérente à la crise climatique, à savoir qu’elle affecte d’abord et le plus durement les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables – précisément celles qui ont le moins contribué à créer la crise1. Les grandes entreprises transnationales, principalement dans les secteurs du pétrole, du gaz, du ciment et de l’extraction du charbon, sont sans aucun doute les principaux moteurs de la crise climatique. Selon l’étude « Carbon Majors Database », seulement 57 entreprises sont directement liées à 80 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Nous devons lutter pour la justice climatique, car nous devons corriger le dysfonctionnement qui a créé ce système.
Cependant, alors que la crise climatique s’intensifie, nous constatons que les grandes entreprises et les gouvernements occidentaux tentent d’utiliser cette crise pour en tirer encore plus de profit. Au cours des dernières années, les négociations climatiques ont été inondées de distractions dangereuses, ou ce que les mouvements sociaux et les scientifiques indépendants appellent des « fausses solutions climatiques ». Celles-ci incluent les marchés du carbone, les solutions basées sur la nature (un beau nom, mais en réalité une réification de la nature), REDD et REDD+ (réduction des émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts), et même les méga-barrages, qui ont été étiquetés comme énergie propre, mais contribuent en fait aux émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre.
Par exemple, le Mozambique a été le premier pays à recevoir des paiements d’un fonds fiduciaire de la Banque mondiale pour la réduction des émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts – communément appelé REDD+. Alors, quel est le problème avec ces projets ?
Les projets de type REDD nécessitent essentiellement de vastes étendues de terres, souvent des forêts protégées et préservées par les communautés locales et autochtones depuis de nombreuses générations, pour compenser les émissions d’une entreprise donnée provenant de projets de combustibles fossiles, par exemple. Ainsi, certaines entreprises « paient » les gouvernements du Sud global pour protéger une forêt spécifique ou une partie d’une forêt, ce qui signifie en réalité l’expulsion des communautés locales et des peuples autochtones des terres qu’ils ont toujours habités. Au lieu de réellement réduire les émissions, ce type de projets permet aux pollueurs de continuer à polluer, tant qu’ils paient pour leurs crédits carbone.
Ce que nous observons actuellement dans de nombreux pays du Sud global, c’est que la mise en œuvre des politiques de changement climatique entraîne l’émergence d’un extractivisme vert, une variante de l’extractivisme basée sur l’extraction, l’expropriation et le transfert des droits d’émission des communautés rurales marginalisées, au profit de l’accumulation externe.
Les droits d’émission sont les droits d’émettre certains volumes de gaz à effet de serre, qui, dans le contexte des communautés rurales, déterminent la capacité à utiliser et à bénéficier des actifs écologiques. À travers ces politiques « vertes », les communautés rurales sont privées de leurs ressources et/ou expulsées de leurs terres (qui sont déterminantes pour leur vie et leur reproduction sociale), afin de les transformer en marchés du carbone. Les communautés perdent donc leurs droits d’émission (en étant empêchées de collecter du bois de chauffage et d’autres ressources forestières) au profit des entreprises (qui achètent ces crédits carbone afin d’augmenter leurs droits d’émission).
L’accumulation externe est donc entendue comme l’accumulation capitaliste générée par les activités des entreprises transnationales, qui achètent ces crédits carbone pour poursuivre leurs activités polluantes2, visant à maximiser les profits et à générer une accumulation de capital supplémentaire.
Plutôt qu’une transition juste qui place les droits des peuples et de l’environnement au centre, ce que nous observons, c’est l’émergence de nouvelles stratégies d’accumulation de capital par la création de nouvelles marchandises, de nouveaux marchés où la terre est marchandisée, les arbres sont vus comme des puits de carbone et les forêts se voient attribuer une valeur commerciale.
Ces processus émergents de marchandisation apportent de nouvelles vagues d’expropriation, compliquant davantage l’accès aux moyens de subsistance et alimentant l’accumulation de capital au nom de la lutte contre le changement climatique.
Les mêmes moteurs qui nous ont conduits aux multiples crises auxquelles nous sommes confrontées (crise climatique, crise démocratique, crise de la biodiversité ou encore de l’alimentation) – en plaçant les profits au-dessus des êtres humains – sont ainsi répliqués dans cette quête des terres, des forêts et des moyens de subsistance du Sud global.
Régime commercial et d’investissement : Le déclencheur du pouvoir et de l’impunité des transnationales
La situation décrite ci-dessus est assurée non seulement par le pouvoir financier, économique et politique énorme des entreprises transnationales, leur conférant la capacité d’influencer et de capturer les structures étatiques, les espaces multilatéraux et les processus décisionnels, mais aussi par un régime international commercial et d’investissement coercitif, dont les normes surclassent les systèmes de droits humains et environnementaux. La primauté de ces droits, un principe bien établi en droit international, est ainsi subordonnée au régime commercial capitaliste dominant.
En fait, les accords de libre-échange et les traités d’investissement incluent souvent des dispositions contraignantes problématiques, telles que la possibilité pour les entités privées de faire appel aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS). L’ISDS est un système juridique privé qui sauvegarde les droits des investisseurs, y compris le droit et la possibilité de poursuivre un État en justice. En utilisant l’ISDS, les investisseurs et les entreprises peuvent poursuivre un État souverain devant un tribunal d’arbitrage privé et se voir attribuer des pénalités de plusieurs millions de dollars payées avec l’argent des contribuables, simplement en affirmant que leurs profits attendus ont été affectés par un changement de politique gouvernementale ou une législation environnementale spécifique. Parfois, les entreprises n’ont même pas besoin de déposer le dossier – la simple menace d’une affaire ISDS s’est avérée suffisante pour dissuader les États d’adopter une législation progressiste en matière de droits humains, de travail, de climat ou d’environnement. Cet « effet dissuasif » des mécanismes ISDS est donc un obstacle clair à une véritable action climatique ou à une protection audacieuse des droits humains et de l’environnement.
Les entreprises transnationales ne sont pas seulement les moteurs et les principaux bénéficiaires des crises multidimensionnelles auxquelles nous sommes confrontés, elles bloquent également activement et délibérément les véritables solutions à ces crises. Les institutions financières internationales, les banques d’investissement et autres entités financières (compagnies d’assurance, fonds de pension, fonds spéculatifs, sociétés d’investissement et sociétés de courtage) qui contribuent aux activités et stratégies prédatrices des STN sont également responsables et doivent donc être tenues responsables.
L’angle de la justice climatique est crucial car il exige que le système capitaliste injuste soit démantelé pour prendre soin de la planète, promouvoir une transition énergétique juste et fournir une réparation pour les violations historiques.
Le Traité Contraignant de l’ONU : Une première étape nécessaire vers des systèmes économiques plus justes et démocratiques
Pour contrer cette architecture d’impunité, de nouveaux leviers juridiques et politiques émergent, qui pourraient contribuer efficacement à la lutte contre le pouvoir des entreprises, pour la justice sociale et climatique. Le Conseil des droits humains des Nations Unies négocie actuellement l’élaboration d’un instrument juridiquement contraignant international, sous la forme d’un Traité Contraignant, pour réguler les entreprises transnationales en droit international des droits de humains, comblant ainsi une lacune juridique fondamentale qui permet aux STN de continuer à accumuler du pouvoir économique et politique tout en violant les droits humains et environnementaux en toute impunité. Une fois adopté, un Traité Contraignant de l’ONU fort sera un outil important pour aborder le pouvoir non régulé des STN. Lorsqu’il s’agit d’accéder à la justice et à un recours face aux violations de ces droits par les entreprises qui sont devenues systémiques et systématiques, il sera un outil important entre les mains des mouvements sociaux, des communautés affectées, des syndicats, des peuples autochtones, des organisations de la société civile et même des États.
Ceci est bien sûr particulièrement important dans le contexte de la crise climatique et d’autres crises interdépendantes.
La Campagne Mondiale pour Revendiquer la Souveraineté des Peuples, Démanteler le Pouvoir des Transnationales et Mettre fin à l’Impunité (la Campagne Mondiale), un réseau de plus de 250 organisations, mouvements sociaux et communautés affectées luttant contre le pouvoir des entreprises, a plaidé pour l’élaboration d’un Traité Contraignant, précisément dans la perspective de créer un cadre juridique qui pourrait soutenir la résistance des peuples et des mouvements sociaux face au système néolibéral dominant actuel qui utilise les STN comme principaux agents pour poursuivre sa quête de domination et de dépossession des classes ouvrières. La Campagne Mondiale a activement participé aux sessions de négociation, apportant à la table des formulations concrètes et des propositions juridiques, afin de peser dans le processus et d’assurer l’élaboration d’un instrument qui reflète les besoins des personnes et des communautés directement concernées et affectées. Ces propositions découlent directement des connaissances et des expériences sur le terrain ; une expérience de construction du droit international par le bas, avec une position politique progressiste, visant à changer le rapport de force au niveau institutionnel afin d’influencer la lutte politique sur les territoires.
Pour la Campagne Mondiale, afin d’avoir un véritable impact sur les stratégies de base, entre autres, le futur Traité Contraignant doit :
- garantir des mécanismes concrets d’accès à la justice et des droits pour ceux affectés par les violations des entreprises : cela inclut des dispositions telles que le Consentement Libre, Préalable et Éclairé, qui doit nécessairement inclure le droit de dire non, des dispositions sur l’accès à la justice et à un recours, l’inversion de la charge de la preuve ;
- inclure des dispositions fondamentales pour protéger les défenseurs des droits humains et de l’environnement (DDHE), les lanceurs d’alerte, les leaders communautaires et les militants, qui font face à une répression de plus en plus militarisée et accrue lorsqu’ils résistent à la cupidité des entreprises ;
- inclure des dispositions fortes pour garantir que le futur instrument est protégé contre la capture par les entreprises, afin que les lobbies des entreprises ne puissent pas exercer une influence indue sur le processus et affaiblir le contenu du traité ou entraver sa mise en œuvre;
- se concentrer sur les STN et leurs chaînes de valeur et de production mondiales, où se situe précisément la lacune juridique ; cette responsabilité solidaire doit être établie entre la société mère et inclure toutes les entités de la chaîne, y compris les sous-traitants, les filiales, et même les institutions financières internationales ainsi que les fonds financiers et les banques qui contribuent aux activités de l’entreprise ;
- réaffirmer clairement la primauté des instruments des droits humains sur les accords commerciaux et d’investissement ;
- établir des mécanismes concrets et efficaces de prévention et de responsabilité juridique pour les STN, basés sur des obligations appropriées de respecter les droits humains et environnementaux, qui doivent être indépendants et distincts des obligations primaires des États.
Un Tribunal International sur les STN et les droits humains : construire un mécanisme coercitif d’application pour l’accès à la justice
Enfin, pour atteindre ses objectifs et surmonter les défis imposés par le système néolibéral orienté vers les entreprises, le Traité Contraignant doit être accompagné d’un mécanisme d’application efficace pour garantir l’application appropriée des droits et obligations qui y sont consacrés. Ce mécanisme pourrait prendre la forme d’un Tribunal International, comme le préconisent la Campagne Mondiale et d’autres organisations/experts juridiques, où les personnes et communautés affectées pourraient traduire en justice les STN qui violent les droits humains et environnementaux, recherchant réparation et justice, des sanctions pour non-conformité avec les obligations et dispositions établies dans le Traité Contraignant, assurant ainsi de tenir pleinement responsables ces entités et d’éviter l’impunité.
Dans le même esprit, en 2016, le premier président de l’OEIGWG, l’Ambassadeur de la République d’Équateur M. Luis Gallegos, a plaidé pour la création d’une « Cour mondiale sur les entreprises et les droits humains3 » dans un article. Par la suite, le premier document présenté à la table des négociations du processus, les « Éléments pour un traité juridiquement contraignant », publié en 2017 par le président de l’OEIGWG, incluait une première ébauche de ce Tribunal : « Les États Parties peuvent décider que des mécanismes judiciaires internationaux doivent être établis, par exemple, une Cour internationale sur les entreprises transnationales et les droits humains ».
Cet engagement concret en faveur de cette proposition fondamentale a cependant disparu au cours des années suivantes, et plus précisément après le changement politique de l’Équateur en 2018. En effet, le nouveau gouvernement élu de Lenín Moreno s’est éloigné de la position progressiste qui caractérisait les politiques de l’Équateur les années précédentes, coupant ainsi les liens avec les mouvements sociaux et embrassant les politiques néolibérales orientées vers les entreprises imposées par les élites dominantes.
Les projets suivants présentés par le président de l’OEIGWG entre 2018 et 2024 ont limité l’application du Traité à un Comité de l’ONU faible du Conseil des droits humains et aux systèmes judiciaires nationaux, qui sont totalement insuffisants. Sans un mécanisme international d’application robuste, l’efficacité du futur instrument ne sera pas garantie.
Néanmoins, la Campagne Mondiale poursuit ses efforts de plaidoyer pour la création d’un tel Tribunal. En octobre 2022, et s’appuyant sur une proposition antérieure4 des Amis de la Terre Afrique (également membres de la Campagne Mondiale), elle a publié un document intitulé « Éléments pour le Statut d’un Tribunal International sur les entreprises transnationales et les droits humains, en tant que Mécanisme d’Application et de Garantie des Obligations de l’Instrument Juridiquement Contraignant sur les STN et les Droits de humains5 », qui a été présenté lors de la 8ème session de l’OEIGWG.
Ce document vise à présenter un squelette de ce à quoi pourrait ressembler le Tribunal, en listant et expliquant les éléments essentiels des futurs statuts. Les principaux éléments, parmi d’autres, identifiés pour constituer l’épine dorsale du Tribunal seraient les suivants :
- Le premier élément concerne les liens du futur Tribunal avec les systèmes judiciaires nationaux et la question de la hiérarchie. La proposition est que les actions du Tribunal International soient complémentaires aux juridictions des États, tout en fournissant un « filet de sécurité » permettant d’exercer la compétence même lorsque les mécanismes nationaux ne sont pas épuisés, si l’État ou les États concernés n’agissent pas de manière appropriée ou en cas de toute forme d’inefficacité.
- Le deuxième élément aborde la question de la nature du mécanisme, à savoir l’institution et le siège du futur Tribunal. La proposition est de créer un tribunal permanent dans un pays du Sud global, mais avec une juridiction itinérante afin de faciliter l’accès à ceux affectés par les violations.
- Le troisième élément identifié se concentre sur la question fondamentale de la compétence du Tribunal. La Campagne Mondiale a identifié trois types de compétences que le Statut devra nécessairement prévoir :
Compétence personnelle : La compétence personnelle examine quel type d’entités et d’activités le Tribunal sera habilité à juger. Selon la portée originale du Traité Contraignant, le Tribunal couvrira les activités et violations des STN et d’autres entreprises de nature transnationale, comme personnes morales et physiques, reconnaissant la responsabilité solidaire des sociétés mères avec les entités de la chaîne de valeur et de production. Compétence matérielle : La compétence matérielle examine et clarifie quel type de crimes et de violations le Tribunal est habilité à enquêter. Selon ce point, le futur Tribunal devrait examiner la conformité des STN avec les obligations consacrées dans les dispositions du Traité Contraignant. La compétence matérielle signifie également examiner quels droits devraient être protégés par le futur Tribunal. Ici aussi, ce dernier devrait refléter les droits protégés par les dispositions du futur Traité Contraignant, ainsi que tous les droits humains fondamentaux et les obligations découlant d’autres instruments pertinents de ces droits, y compris ceux reconnus dans les normes environnementales. Compétence géographique : La compétence géographique examine le lieu où la violation a été commise, pour déterminer si le Tribunal est compétent ou non. La proposition fondamentale dans ce chapitre est que le futur Tribunal devrait avoir compétence sur les violations et crimes commis sur le territoire d’un État ayant ratifié le Traité Contraignant et Partie au Statut du Tribunal. Cependant, la compétence devrait également s’exercer sur des entités dont le siège n’est pas nécessairement dans un État Partie, si, et seulement si, la responsabilité solidaire de cette entreprise a été établie avec l’entité violatrice. Sans cette disposition, l’efficacité du futur Traité et du Tribunal sera compromise. Il est crucial d’empêcher que les sociétés mères d’une STN donnée basée dans un État non Partie – qui sont solidairement responsables avec une entité violatrice dans un État Partie – puissent échapper à la justice.
- Autres éléments : le Tribunal aurait la capacité d’enquêter et de poursuivre, imposant des sanctions et des pénalités ; le Tribunal devrait réaffirmer les droits des personnes et communautés affectées, y compris des références à l’inversion de la charge de la preuve, aux actions collectives et à la promotion de processus rapides ; le Tribunal devrait être régi par des mécanismes de coopération internationale, pour faciliter la collaboration dans la perspective d’assurer un accès rapide, intégral et complet à la justice ; le Tribunal devrait fonctionner et être accompagné d’un Centre International de Surveillance Publique des Droits humains et des STN.
La Campagne Mondiale est pleinement consciente que la proposition d’un Tribunal International à ce stade, et face à la conjoncture politique et économique internationale actuelle, est une revendication complexe. Néanmoins, la Campagne Mondiale reste cohérente avec ses engagements et est convaincue qu’elle a le devoir de lutter pour l’instrument le plus ambitieux et efficace possible.
Un changement social radical en faveur des communautés de base et de l’environnement sera le résultat d’une lutte acharnée sur le terrain mais aussi au niveau juridique et institutionnel. L’avancement de propositions juridiques solides visant à mettre définitivement fin à l’impunité des entreprises fait partie d’une stratégie politique pour contrer l’architecture transnationale dominante de l’impunité par la construction du droit international par le bas, d’une perspective progressive.
C’est une condition nécessaire si nous voulons avancer vers un Traité Contraignant de l’ONU fort et efficace qui pourra mettre fin à l’impunité des entreprises transnationales. Si les mouvements sociaux et les États progressistes réussissent – et nous devons réussir – nous aurons enfin un outil longtemps attendu pour protéger les peuples, le climat et l’environnement, et pour nous pousser vers une transition juste urgemment nécessaire, tout en contrant les efforts de «greenwashing».
1 The Carbon Majors Database: Launch Report, April 2024: https://carbonmajors.org/briefing/The-Carbon-Majors-Database-26913
2Extractivism, Rural Livelihoods and Accumulation in a “Climate-Smart” World: The rise of green extractivism: https://repub.eur.nl/pub/137082/natacha-bruna-thesis-final.pdf
3 GALLEGOS, Luis and URIBE, Daniel, «The Next Step against Corporate Impunity: A World Court on Business and Human Rights?», Harvard International Law Journal, Vol.57, 2016,
https://harvardilj.org/2016/07/the-next-step-against-corporate-impunity-a-world-court-on-business-and-human-rights/
4A tribunal to live: https://www.foei.org/publication/a-tribunal-to-live/
5www.stopcorporateimpunity.org/wp-content/uploads/2022/10/Elements-Tribunal_Oct2022-1.pdf